AAC – Engagement et résistances au travail – Colloque en hommage à Stephen Bouquin

Le parcours de recherche de Stephen Bouquin, sociologue du travail, s’est brutalement interrompu en janvier 2025. Ses travaux témoignent d’une lecture critique du travail et d’un désir d’émancipation sociale. Pour Stephen Bouquin, à la suite et dans la continuité des enseignements de Jean-Marie Vincent, directeur du département de Sciences politiques à l’université Paris 8, le travail salarié ne se réduit pas à une activité productive immédiate et tangible, mais s’inscrit dans le processus de valorisation propre au capitalisme. Profondément insatisfait de l’état de la sociologie française du travail, Stephen Bouquin fonda en 2005 la revue Les Mondes du Travail avec pour objectif de « se centrer sur le thème du travail sans se laisser enfermer par lui » (éditorial du premier numéro, janvier 2006). Son souhait était de traiter « des réalités contemporaines du travail dans toutes ses formes, en lien avec le hors-travail et la structuration sociale en général ». À la fois intellectuel et politique, il a toujours questionné l’ordre social dominant et les hiérarchisations d’un rapport salarial qui lui semblait peu théorisé. La question sociologique des Résistances au travail (ouvrage collectif publié en 2008) témoigne d’une posture à contre-courant, qui visait à dépasser les approches nationales, domino-centrées et misérabilistes. Il projetait d’en publier une version actualisée tant cette problématique restait fondamentale à ses yeux par rapport au monde actuel et à ses enjeux. À l’ère du capitalocène, ses questionnements théoriques combinaient plusieurs grilles de lectures de la société contemporaine dont la crise écologique et les résistances du travail vivant ainsi que la critique de l’impératif systémique de la profitabilité (Bouquin, 2023).

Penseur aux multiples facettes (historien, sociologue, scientifique militant), il fut engagé dans une lutte contre la précarisation des vacataires de l’université d’Evry Val-d’Essonne en 2019- 2020. Dans la foulée des mouvements contre la loi Travail (2017), des Gilets jaunes (2018), la contre-réforme des retraites en 2019 et contre la destruction de l’université (LPPR, 2020), il avait soutenu les vacataires et participé à l’élaboration d’une enquête par questionnaire afin d’objectiver les conditions d’emploi et de travail à l’université d’Evry. Cet engagement sociologique s’inscrivait plus largement dans une critique de la précarisation sociale généralisée. Adoptant une approche d’enquête multi-située (auprès des agents RATP, des cheminots, des ouvriers de l’automobile, des femmes de chambre, des travailleurs migrants, des étudiants et des précaires de l’Enseignement supérieur et de la Recherche), il mettait en pratique son savoir sociologique en cherchant à rendre visibles des réalités déniées ou naturalisées. Quel sens donner à la critique sociologique du travail qui fut celle de Stephen Bouquin ? Sur quels fondements faire reposer une épistémologie critique dans un contexte de digitalisation et d’ubérisation du travail ?

Nous proposons d’échanger autour de trois thèmes de prédilection des travaux de Stephen Bouquin :

Atelier 1 : Résistances au travail et travail des résistances

Atelier 2 : La place du travail dans les mobilisations

Atelier 3 : Les mondes du travail, quels engagements du chercheur ?

Atelier 1 : Résistances au travail et travail des résistances

L’histoire sociale du début du 21e siècle est marquée par des transformations majeures du salariat et du travail : digitalisation et travail à distance, plateformisation, recours aux faux- indépendants, développement de l’intrapreneuriat, individualisation des rémunérations, participations financières, etc. Malgré la consolidation de formes précaires de mise au travail et le développement de nouveaux dispositifs de management visant l’adhésion volontaire du salarié, la soumission n’est jamais totalement acquise : des formes de résistance, souvent discrètes et informelles, existent dans les interstices de la domination et permettent l’émergence d’espaces d’autonomie. L’objectif de cet atelier est de centrer l’attention sur les capacités de résistance individuelle et collective des travailleur·euses face aux nouveaux dispositifs de contrôle et d’assujettissement. Il s’agit d’éclairer les différents sens qui se dégagent des interactions et des rapports de travail : adhérer, se faire enrôler et résister à l’aliénation, s’opposer à la violence du rapport salarial, aux servitudes du travail, ou maintenir un espace d’autonomie quotidienne…

Les propositions de communication visent à répondre à trois ordres de questions :

  • Quelles sont les formes anciennes (sabotage, ralentissement…) et nouvelles de résistance au gré des changements technologiques et de la relation salariale (collectifs de gig workers des plateformes, logique collective de réduction de l’effort dans le milieu du drive au sein de la grande distribution…) ? Quelles sont les ressources (scolaires, locales, politiques, héritage ouvrier, solidarité fondée sur l’âge ou le genre…) dont disposent les salarié·es ou les travailleur·euses pour résister ? En outre, dans quelle mesure ce travail des résistances permet-il de supporter la condition salariale, voire de s’affranchir de la domination managériale ?
  • Les résistances fondées sur une définition partagée du métier et du travail « bien fait », que l’on peut alors opposer aux injonctions gestionnaires, peuvent-elles être un vecteur de défense des identités professionnelles et du sens du travail ? En quoi le « travail empêché » alimente-t-il des actes de résistance ou au contraire des formes de retrait et de repli dans le hors-travail ?
  • Comment certains collectifs, des plus institutionnalisés aux plus informels, arrivent-ils à politiser la scène du travail ? Comment aussi penser le collectif de travail à l’ère du capitalisme numérique, du travail à distance et du flexoffice ? Une diversité de grilles théoriques (capacité d’agir individuelle ou collective, agency/agentivité ; les arts de la résistance selon James C. Scott (La domination et les arts de la résistance : fragments du discours subalterne, 1990) ; l’antagonisme des rapports sociaux ; une conscience politique de classe, de sexe, de race…) pourrait ici être mobilisée afin de dégager des enseignements sociologiques du devenir de l’agir au travail.

 

Atelier 2 : La place du travail dans les mobilisations

L’étude des mobilisations, de leurs formes et des acteurs qui y concourent traverse les travaux de Stephen Bouquin depuis sa recherche doctorale publiée dans La valse des écrous aux éditions Syllepse en 2006 et ses contributions dans des revues et ouvrages collectifs. Plusieurs numéros de la revue Les Mondes du Travail y sont explicitement consacrés (n°3, n°20, n°23, n°30, hors- série février 2020). Ces problématiques apparaissent aussi dans nombre de numéros de la revue dont ceux consacrés aux mobilités et migrations, aux restructurations économiques, aux conditions et temps de travail mais aussi aux capacités d’émancipation de la logique capitaliste.

Ces dossiers reviennent sur l’affaiblissement continu des forces et des représentations syndicales, en lien avec l’émiettement des statuts professionnels et des collectifs de travail. Les syndicats seraient débordés par les luttes sociales qui s’étendent de plus en plus hors des lieux de travail.

Les propositions de communication s’attacheront à repérer tout à la fois les formes contemporaines des mobilisations sociales et les contradictions qui les sous-tendent.

  • Quelle place les syndicats occupent-ils dans les mobilisations actuelles ? Parviennent- ils encore à instaurer un rapport de force ? Dans quelle mesure l’action syndicale peut- elle surmonter les mécanismes d’individualisation et d’atomisation des mondes du travail ? Une attention particulière pourra être accordée aux mots d’ordre, répertoires d’actions et registres d’émotion (colères et ressentiments) qui entretiennent les revendications et les utopies.
  • Aussi, les formes de mobilisation apparaissent multiples, voire éclatées. On peut s’in- terroger sur la place qu’occupent les revendications sur la protection du travail, de l’em- ploi, des droits sociaux dans cette affluence de révoltes et de Faut-il y voir la « fin du travail » ? Une métamorphose du travail et des travailleurs ? Ou des formes d’individualisation des rapports sociaux ? Quelle relation établir entre les situations con- temporaines de travail et d’emploi, les modes de vie et ces mobilisations multiformes ? Quelle place le rapport capital-travail occupe-t-il dans ces mobilisations comme celles des Gilets jaunes ? Comment les syndicats y répondent-ils ou interagissent-ils ?
  • Le rapport des mobilisations sociales à l’État peut aussi être discuté. Dans quelle mesure la puissance publique qui porte des réformes massivement contestées y répond-elle et comment ? Quels sont les cadres de négociations ? Assiste-t-on à une criminalisation de l’action syndicale ou militante ? Quels peuvent en être les effets ? Enfin, quel est le traitement médiatique (presse, réseaux sociaux) des mobilisations sociales et avec quelles conséquences ?

 

Atelier 3 : Les mondes du travail, quels engagements du chercheur ?

Stephen Bouquin aimait se présenter comme « historien de formation, sociologue de métier et scientifique militant ». En quoi cette dernière locution est-elle un oxymore ou une nécessité ? Son engagement politique et syndical, remontant à sa jeunesse, a constitué le fil conducteur de ses réflexions et de ses initiatives académiques, faisant de lui un sociologue marxiste engagé. Cette articulation entre dimensions personnelle, militante et scientifique, n’allait toutefois pas de soi. Plusieurs collègues n’ont découvert que tardivement – voire jamais – l’ampleur de son engagement politique et syndical. Dans le milieu académique, Stephen Bouquin faisait preuve d’un positionnement critique, n’hésitant pas à prendre des initiatives et des positions en décalage avec les logiques dominantes. En témoigne la ligne éditoriale de la revue Les Mondes du Travail, qu’il a dirigée de 2006 à 2024, et qui défendait une réflexion critique sur le travail, affranchie des impératifs d’excellence, de classement et de h-index.

C’est précisément l’engagement de la chercheuse ou du chercheur critique, situé au cœur de champs de tensions, que nous proposons d’interroger dans cet atelier :

  • Qu’entend-on par « sociologue engagé·e » ? Quelles sont les tensions entre rigueur scientifique et poursuite d’un projet politique ou syndical ? En quoi la proximité avec des organisations politiques, syndicales et des mouvements sociaux peut-elle nourrir la réflexion tout en risquant de restreindre les libertés du chercheur, voire d’affaiblir sa légitimité ?
  • Que signifie être sociologue engagé·e aujourd’hui, dans un contexte de doutes, de discrédit de la science et de montée des autoritarismes et du fascisme ? Comment lutter contre une restriction des libertés académiques ? En quoi renoncer à l’engagement, au nom d’une posture scientiste, est-il raisonnable, voire dangereux dans le monde actuel ?
  • Comment l’engagement de la ou du sociologue varie-t-il selon les générations, le genre, ainsi que les contextes nationaux et internationaux ? Que change l’extension du champ de l’engagement, en lien avec l’élargissement de la conflictualité, sur des thèmes renouvelés comme l’écologie, les féminismes, l’antiracisme ? Quelles sont les conséquences de ces extensions sur le statut épistémologique des sociologies critiques ?

Calendrier de soumission :

  • 14 novembre 2025 : date limite de réception des propositions (3 000 signes).
  • 19 décembre 2025 : notification aux
  • 6 mars 2026 : date limite de réception des communications (60 000 signes tout compris).
  • 2 et 3 avril 2026 : le colloque se tiendra dans les locaux de l’Université de Picardie Jules Verne – Campus Citadelle (10, rue des Français libres, 80080 Amiens) 

Les propositions sont à envoyer à l’adresse mail suivante : colloquestephenbouquin@protonmail.com

Comité d’organisation :

Rachid Bouchareb, Nicola Cianferoni, Antonella Corsani, Pascal Depoorter, Nathalie Frigul, Manon Libert, Marc Loriol, Alain Maillard, Cécile Piret, Guillaume Tiffon, Jean Vandewattyne.

Composition du comité scientifique :

Mateo Alaluf, Louis-Marie Barnier, Bruno Bauraind, Carlotta Benvegnu, Sophie Béroud, Paul Bouffartigue, José Calderon, Pierre Cours-Salies, Marie-Anne Dujarier, Jean-Pierre Durand, Gaëtan Flocco, Dominique Glaymann, Mélanie Guyonvarc’h, Donna Kesselman, Michel Lallement, Florent Le Bot, Danièle Linhart, Cédric Lomba, Séverin Muller, Jérôme Pélisse, Roland Pfefferkorn, Françoise Piotet.